A l'aube de la terrible déflagration de la Première Guerre Mondiale, qui mit notre semblant d'humanité à feu et à sang, l'impassible quiétude rurale de ce petit village protestant de l'Allemagne du Nord semblait inaltérable et parfaitement dans l'ordre des choses et des saisons. Une apparente impassibilité, intemporelle et séculaire, brutalement anéantie lorsque le médecin local fait une mauvaise chute à cheval, à cause d'un discret et malveillant câble tendu entre deux arbres. Au fil des semaines, d'autres méfaits incompréhensibles et sournois se mettent à pourrir l'atmosphère ambiante, distillant des nappes de suspicion et de méfiance dans la petite collectivité, de plus en plus perturbants et dramatiques, au point de remonter jusqu'au maître des lieux et des hommes, vers celui qu'on nomme le baron, un omnipotent hobereau local. Au fil des jours et des incidents, tout semble prêt à basculer dans une insidieuse paranoïa, une vénéneuse conspiration du mal, même chez les enfants, et peut-être surtout chez les enfants. Le 28 juin 1914, l'archiduc François-Ferdinand et son épouse Sophie Chotek, sont assassinés à Sarajevo. Il était temps désormais de passer aux choses sérieuses, de pourrir la vie à plus grande échelle...
- Fiche de Monsieur Cinéma
- Annuel du Cinéma 2010
- Cahiers du Cinéma numéro 649
Critiques (Public)
18/20 : Une neige éclatante saupoudrée sur le pays, le même blanc que le ruban satiné dont on affuble les enfants pour les préserver du malin, mains liées au lit (interdit de se gratter !), tissu enlevé, remis selon les règles édictées par le pater noster... Film noirissime, mais facile d'y entrer grâce au noir et blanc qui étincelle, ainsi qu'à la voix-off du sympathique instituteur. Glaçant comme "Fanny et Alexandre" de Bergman, nettement plus vivant dans son déroulement. Ces villageois traversent des moments de grâce, on chante et on danse, et pourtant la faim et l'humiliation tenaillent. Aucune scène insupportable cependant, la dureté intervient par saccades dans les occupations quotidiennes. Le pompon revient au notable censé être numéro un dans toute société par sa mission hautement morale, à lui seul il cumulerait presque toutes les tares humaines malgré une chute de cheval qui sonne comme un avertissement... Mais il y a du baume aussi dans ce film : le blondinet demandant s'il mourra un jour, ou qui offre à son père un oiseau de rechange dans une cage. Ce même petit surprend une fausse séance de perçage d'oreilles... "Faites ce que je dis, pas ce que je fais"... Rien de mieux pour révolter à l'âge adulte, voire commettre à son tour quelques actions revanchardes. Extrapoler sur le nazisme à partir de ces rigidités éducatives est une piste mais ce serait réduire le film qui mérite une portée infiniment plus vaste ! L.Ventriloque
Revu aujourd'hui ce film qui m'avait fort marqué il y a 12 ans. Toujours aussi puissant ! La photo est magnifique, sous influence d'August Sander. Et le message n'est pas si pessimiste, car si cette communauté (comme toute communauté ?) est complètement pourrie, jusqu'à la perversité, par les rapports de domination, Haneke nous livre la solution : c'est bien sûr la fuite, comme le comprennent la baronne, la sage-femme puis l'instituteur. Maxime