Un film sur la vie d'un homme qui a perdu la foi
mais qui n'a pas le courage de ne pas y croire...
322 : un chiffre apparemment quelconque et d'une insignifiance courante, hormis qu'il implique, dans le milieu médical, une sombre et tragique évidence, un diagnostic alarmant : le cancer. C'est de cette mystérieuse et radicale maladie dont est atteint le cuisinier Joszef Lauko qui ne souffrait tout d'abord que d'un banal et gênant mal de gorge. Mis d'office en congé maladie, on lui détecte une tumeur maligne, lui assignant de se présenter à l'hôpital Bezrucova pour une inévitable opération thérapeutique. Il est vrai que l'existence de notre bonhomme n'a rien d'une sinécure, entre un passé politique trouble et culpabilisant, une ex-épouse prénommée Marta qui l'exploite éhontément et des questionnements récurrents sur le bonheur et le bien-être, on a de quoi se forger quelques néoplasmes d'accompagnement. En fait l'émergence de cette somatique et tentaculaire maladie qui se métastase lentement dans tout son corps n'est finalement que l'épiphénomène d'une société gangrénée par les ordres et les obligations, les surveillances et les directives, injonctions policières de traverser aux passages protégés, voyeurisme auditif de voisins qui écoutent au stéthoscope l'appartement mitoyen, jeune marginal interpellé pour son accoutrement. Une lente prise de conscience commence à s'opérer dans la tête de notre bonhomme, alors qu'une autre opération, chirurgicale ne détecte que quelques banaux calculs biliaires...
>>> En apparence, l'histoire d'un petit homme gris, passif et soumis, dégarni et chauve de l'intérieur qui par l'irruption dans son existence d'une malencontreuse maldonne, un cancer intempestif, commence à se poser de vraies questions, à regarder en lui, autour de lui, en devenant ainsi un témoin de plus en plus lucide des errements présents et passés. En réalité, une critique pertinente et constante du régime communiste, subtil réquisitoire qui manque certes d'impertinence, mais compréhensible au vu de la lourde normalisation soviétique qui s'est abattue sur la société tchèque et slovaque. C'est donc à travers des dizaines de courtes séquences, souvent tragi-comiques, à connotation documentaire, voire de simples plans a priori incongrus ou anodins, que le réalisateur Dusan Hanak stigmatise les dérives et les inquiétudes quotidiennes, évitant adroitement l'empathie et la lourdeur démonstratives. Dans une contrée où l'on ne peut pas exprimer à haute voix ce que l'on pense et ce que l'on ressent, n'est-il pas exutoire et légitime de se peaufiner un taiseux cancer de la gorge, annihilant ainsi, ipso facto, toutes paroles contradictoires, voire contestataires ? En filigrane humain, "Lauko de 5 à 7" ou les tardives compréhensions humaines d'un Kanji Watanabe au pays des Soviets, sous couvert d'un surréalisme morose en patchworks acides et morbides...
© Cinéfiches.com (Jean-Claude Fischer)
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