Garde du corps d'un certain Artemio, ministre de la Planification, le dénommé Ruben remplit quotidiennement sa discrète fonction comme un muet et précieux sacerdoce. Accompagnant son protégé dans ses moindres déplacements, officiels ou privés, Ruben n'a d'existence que de par sa charge protocolaire et sa constante disponibilité. Il est la fidèle et taciturne présence tutélaire de ce pénétré membre du gouvernement, mais aussi son bien, sa chose, au même titre que la voiture de service et les nombreux prérogatives attachées à son poste ministériel. Son destin personnel n'a aucune consistance, aucune matérialité individuelle, entre une soeur profondément perturbée et une fantasque nièce qui fait son ménage, il vit par personne interposée, dans des lieux de transition, une salle d'attente, un ascenseur, un palier, un corridor, comme pétrifié dans un fantomatique rôle monocorde, monochrome, monomane. Et c'est bien par et pour cette vie d'ombres et de pénombres que les ténèbres d'une radicale folie criminelle vont enfin donner un sens à sa morne et factice existence, lavée de toute humiliation et de de toute dépendance, par les vagues accueillantes de l'océan...
17/20 : Réservé à ceux qui ont éprouvé la solitude du larbin, celui qu'on voit quand c'est nécessaire ou qu'on oublie comme un meuble. Non que Ruben soit à proprement parler "maltraité", jamais en paroles, juste de petits dérapages quelquefois dans les comportements, mais il les perçoit au plus profond de lui-même, enfin de ce qu'il lui reste de vie personnelle, car il travaille quasiment non-stop. Il doit veiller sur son ministre, et aussi sur sa progéniture, l'innocence teintée de perversité. Comment évacuer son mal-être ? Un bon bain de mer froid ou autre chose ? A voir en v.o., cette étude de moeurs se passe en Argentine, mais ce pourrait être n'importe où. C'est un film lent, méthodique, efficace, aux prises de vue (caméra féminine) remarquables. Peu bavard, une musique savamment dosée. A découvrir bien réveillé et à voir une deuxième fois pour apprécier la poésie de la mer, qui a ici un rôle inédit... L.Ventriloque