Vastes marécages en méandres et densité, antédiluviennes étendues d'eau et de végétation à perte de vue et de repères, désolation et luxuriance à la fois, impensables labyrinthes foisonnant d'herbes sauvages et d'arbustes inextricables que traversent d'impossibles chenaux débouchant sur nulle part. C'est dans ce monde primitif et insulaire, au large de la côte argentine, que survit Alvaro, entre pêche, cueillette de roseaux, archaïques mais efficaces travaux de reliure pour une vague bibliothèque de la ville dont le seul moyen pour s'y rendre est un placide bateau-navette manoeuvré par l'incontournable El Turu, une brute épaisse et complexe, obnubilé par une crainte viscérale de l'autre et de sa gênante différence. En effet, l'homme est maladivement obsédé par les fuyants "misioneros", ces émigrés clandestins souvent d'origine paraguayenne qui survivent, vaille que vaille, en autarcie et rapines, au sud de l'île (au point d'incendier de nuit quelques unes de leurs embarcations) mais aussi indigné, révulsé, attiré par l'inquiétante et sourde homosexualité d'Alvaro le taciturne...

>>> D'une extraordinaire plasticité visuelle, arborant un époustouflant noir et blanc originel, une oeuvre intemporelle, austère jusqu'à l'épuisement, figée dans sa mortelle lassitude environnementale, qui véhicule en profondeur, sans aucune frilosité, quelques inéluctables et classiques schèmes (dé)structurant toute relation humaine, comme le désir et la peur, la violence, la vengeance et la haine...
© Cinéfiches.com (Jean-Claude Fischer)