LA ROUE - 1920

Titre VF LA ROUE
Titre VO
Autres titres VF LA ROSE DU RAIL
Année de réalisation 1920
Nationalité France
Durée 6h57
Genre MELODRAME
Notation 20
Date de sortie en France 17/02/1923
Thème(s)
Musique et musiciens (Cinéma français)
Rêves et cauchemars (Cinéma français)
Montagnes (Cinéma français)
Chefs-d'oeuvre (Mélodrame)
Carnaval (tous pays confondus)
Prix "Cinéfiches" des meilleures interprétations
Chefs-d'oeuvre (Muet)
Trains et gares (Cinéma français)
Cécité (Cinéma français)
Inceste (Cinéma français)
Adoption (Cinéma français)
Impressionnisme français (avant-garde)
Films d'une durée égale, proche ou supérieure à 4 heures (tous pays confondus)
Balançoires (tous pays confondus)
Téléfériques / Funiculaires / Télésièges (tous pays confondus)
Chats (tous pays confondus)
Chiens (Cinéma français)
Trains miniatures électriques ou en bois (tous pays confondus)
Chèvres et boucs (tous pays confondus)
Jeux (cartes)
Alcoolisme et autres beuveries (Cinéma français)
Voyances, cartomancie et autres divinations (tous pays confondus)
Puits (tous pays confondus)
Suicide (Cinéma français)
Postes et Télécommunications
Bateaux à voiles
Chauffeurs (de maître) (tous pays confondus)
Réalisateur(s)
GANCE Abel
Chef(s) Opérateur(s)
BUREL Léonce-Henri
Musique
HONEGGER Arthur SOSIN Donald LITOLFF André
Renseignements complémentaires
Scénario : Abel Gance
Assistant-réalisateur : Blaise Cendrars .....
Montage : Marguerite Beaugé
et Abel Gance .....
Version initiale : plus de 8 heures

Dédicace : "Je dédie ce film à la mémoire de ma chère jeune femme, née Ida Manis, morte à vingt-sept ans" .....

- Prix "Cinéfiches" (Meilleure Interprétation) pour Séverin Mars .....
Acteurs
MARS Séverin
CLARY Gil
CLOSE Ivy
DE GRAVONE Gabriel
TEROF Georges
MAXUDIAN Max
MONFILS Louis
DUGAST Geo
MAGNIER Pierre
Résumé
                                                                     "Je sais que la Création est une grande Roue
                                                                     Qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu'un"

                                                             Victor Hugo

Prologue : un crépuscule écarlate...

Un train de voyageurs, un autre de marchandises viennent de se percuter, à proximité d'une gare,occasionnant des blessés et des morts par dizaines, dans un chaos apocalyptique où règnent panique et douleurs, en débordement et profusion. Le mécanicien Sisif, revenant de son travail, s'étant trouvé non loin de la dramatique collision, prend la direction des secours, empêchant du coup, une catastrophe encore plus importante, un essieu bloquant un sémaphore d'arrêt d'urgence, alors même qu'un autre convoi ferroviaire était prévu incessamment, en entrance. Notre sauveteur découvre à la nuit tombée, près d'un rosier, une enfant endormie, portant autour du cou, un pendentif incrusté du prénom de Norma. La première pensée qui vînt à l'esprit de Sisif : "Cela ferait une gentille sœur à mon petit garçon". En effet, l'homme avait un fils prénommé Elie dont la mère était morte en le mettant au monde. Joignant le geste à la parole, il emmène discrètement la gamine à son domicile, apprenant le lendemain que cette dernière était désormais orpheline et que rien ni personne ne s'opposerait à cette discrète adoption. Des années et des années passent, les deux enfants grandissent ensemble, se croyant effectivement frère et sœur...

Première époque : la rose du rail...

Quinze années plus tard. Un jour de paie, à la gargote de "l'Horloge des Gueules Noires", lieu de rendez-vous et de passage des travailleurs du rail, on y retrouve Sisif, taciturne, sombre et querelleur, éclusant quelques verres. Sa fréquente mauvaise humeur a comme point de départ l'émergence d'une lancinante et tenace jalousie, suscitée par l'attitude de quelques uns de ses camarades cheminots qui ouvertement content fleurette à Norma dont il est en fait secrètement amoureux. Même la complicité de la jeune fille avec son "frère" Elie qui s'est installé comme luthier, devient une insupportable et pénible situation pleine de dépit et de ressentiment, au point de finir par confier sa peine et son tourment à un certain Jacques de Hersan, un inspecteur au service du matériel et des devis, nanti d'une fortune personnelle et d'une confortable situation professionnelle. Ce qu'il ignore encore, c'est que le prospère bonhomme courtise aussi, vainement depuis six mois, sa fille adoptive...

Deuxième époque : la tragédie de Sisif...

De plus en plus désespéré de cette ambivalente situation affective, il reporte son douloureux et silencieux attachement sur sa locomotive qu'il baptise du surnom de "Norma 2" et qu'il va choyer et bichonner dans un maladif et désuet transfert sentimental qui ne fera finalement qu'exacerber son indicible affliction passionnelle, au point de tenter un soir, de se jeter sous les roues de sa motrice afin de mettre un terme à ses récurrents tourments. Mettant sur le compte de la misère et de la pauvreté, les raisons d'un tel geste désespéré, Norma décide d'accepter la demande en mariage de Jacques de Hersan, espérant ainsi pouvoir aider financièrement sa petite famille. La désormais absence de la jeune femme n'apporte pourtant ni apaisement ni tranquillité dans le cœur de Sisif qui refuse obstinément de répondre à ses lettres et récuse systématiquement les mandats envoyés depuis la capitale. Des mois passent. Un jour, par hasard, lors d'un intempestif coup de vent, Elie tombe sur le livret de famille et s'étonne de ne pas y voir figurer le prénom de Norma. Le garçon finit par apprendre la vérité et devine aussi la nature des sentiments de son père auquel il reproche véhémentement sa duplicité, dénaturant cette affection fraternelle envers Norma qui aurait pu être de toute autre nature. Et pour corser cette inexorable dramaturgie en constante effervescence, Sisif reçoit accidentellement en plein visage, lors d'une erreur de manipulation de son coéquipier Mâchefer, un jet de vapeur brûlante provoquant une cécité partielle et progressive, ainsi qu'une rapide mise à la retraite prochaine. Une visite impromptue de Norma, quelques jours plus tard, se solde par une permanente tension et une fâcheuse irritabilité paternelle et filiale. Une nouvelle fois Sisif tentera de mettre fin à sa vie en précipitant sa locomotive et lui, contre un talus de fin de ligne, sur une voie fermée à la circulation. Il sera blâmé, rétrogradé et désormais affecté à la conduite d'une motrice à crémaillère au funiculaire du Mont-Blanc...

Troisième époque : la course à l'abîme...

Père et fils se retrouvent ainsi, à trois mille mètres au-dessus de la vallée, dans une baraque, au terminus de la voie ferroviaire, où il est interdit à chacun de prononcer le douloureux prénom de Norma. Alors que l'opiniâtre Elie vient enfin de trouver le secret du vernis crémonais qui donnait cette patine et cette tonalité aux fameux stradivarius, gage de succès et de fortune à venir, parallèlement la prospérité de Jacques de Hersan périclite, touchée par la terrible crise boursière. Ce qui n'empêche nullement ce dernier de passer quelques jours, avec son épouse, au Majestic Hôtel, dans les Alpes, non loin du funiculaire quotidiennement manœuvré par Sisif désormais atteint d'une cécité totale. C'est en présentant son instrument de musique à un violoniste solo de l'établissement que le sagace Elie est reconnu par Norma qui de son côté, lors d'une promenade alpestre, entrevoit Sisif aux commandes du petit funiculaire. Les ferments d'un nouveau drame se mettent inexorablement en place, lorsque Hersan découvre un billet doux glissé dans le violon offert par Elie à son épouse. S'en suit une violente bagarre, ponctuée par une mortelle chute d'Elie dans un sinistre précipice...


Quatrième époque : symphonie blanche...

A cause de cette tragédie, la compagnie ferroviaire permet à Sisif de rester dans sa vétuste chaumière en touchant une modeste pension tout en étant maintenu comme simple mécanicien de la locomotive à crémaillère, désormais baptisée "Norma 3" toujours en activité avec ses deux wagons pour emmener son contingent de touristes vers les hauteurs. Désormais complètement aveugle, le pauvre homme se débrouillait difficilement dans son morne quotidien. Sa fille adoptive passait souvent, en catimini, pour finalement décider de rester auprès de Sisif qui sentait la présence de quelqu'un et commençait bientôt à s'y habituer. Pour immortaliser le drame, il avait planté une immense croix en bois à l'endroit de la mortelle chute d'Elie dont le corps sera peut-être rendu par le glacier dans une dizaine d'années. Cette permanente promiscuité entre la jeune femme et le vieux bonhomme, jusqu'alors toujours silencieuse, fut enfin concrétisée par les mots, la parole et la reconnaissance mutuelle. "Et comme à la fin des contes, ils furent heureux longtemps, car les rayons de la Roue étaient maintenant fleuris des sourires de Norma". Et c'est assis devant la fenêtre, l'œil éteint et le coeur radieux que Sisif allait quitter doucement la vie, comme un rayon de soleil quitte une fenêtre au crépuscule, alors qu'au loin Norma et les jeunes gens du village se sont élancés dans une traditionnelle danse de renouveau...

>>> A l'origine, 16 mois de tournage, 10900 mètres de pellicule, 150 heures de rushes et 117 morceaux de musique pour parvenir, selon les époques, les restaurations, les montages, remontages et autres mutilations à des moutures de plus en plus élaborées, de plus en plus proches de l'originel imaginé par son réalisateur Abel Gance. Entre la version visionnée en 1990 au Maillon de Strasbourg (305 minutes), celle de 2008 au festival du film muet de Pordenone (260 minutes) et la projection sur la chaîne de télévision d'Arte en octobre 2019 (417 minutes) les ajustements, variables et complémentarités insérés dans le déroulement scénaristique ne font que confirmer, à chaque fois, avec un peu plus de brillance et d'hébétude, que nous sommes effectivement en présence d'un chef-d'oeuvre unique que bien des critiques et de nombreux cinéphiles considèrent comme le plus beau film de l'histoire du cinéma...
© Cinéfiches.com (Jean-Claude Fischer)

Bibliographie
- Fiche de Monsieur Cinéma
- Les Cahiers de la Cinémathèque numéros 33/34
- 1895 numéros 31, 36 et 38
- Pour Vous numéro 3
- Cinéma numéros 47, 152 et 245
- Cinéa Ciné pour tous numéros 3 et 11
- Cinémagazine numéros 52 (1922) 2, 7, 8, 9 (1923) 9 (1924) 24 (1928)
- Ciné pour tous numéros 113 et 114
- Positif numéro 384
- Jeune Cinéma numéro 202
- Cinéa numéro 89
- Cinématographe numéro 47


Critiques (Public)
Voir la version "intégrale" de ce monument du cinéma est une gageure et une chance dont peu de cinéphiles pourront se vanter. Grâce a une parfaite restauration de la Cinémathèque Française et une programmation idéale du "Maillon" de Strasbourg dont le responsable "cinéma", Monsieur Patrice Muller, dévoué corps et âme au 7e Art, ce bonheur (partiel) put être partagé avec une centaine de spectateurs, un dimanche 25 novembre 90 durant 305 minutes inoubliables ... accompagnés d'une partition musicale improvisée au piano par le toujours excellent André Litolff .....

Abel Gance se mérite. Abel Gance, un de ces monstres de générosité qui a l'art de vous parcourir et de vous aspirer tel un marécage. Je veux parler de cette force, qu'ont les marécages, de vous prendre, malgré vous, encore et encore, jusqu'à ce que vous ne vous appartenez plus, corps et âme. Peut-être comme ces (trop rares) orgasmes qu'il est possible d'atteindre, à la seule vision de quelqu'un. Lorsque vous pensez qu'il va vous abandonner là, avec cet infâme mot "FIN", il vous emmène à nouveau dans "la lumière du crépuscule", "du soir" "au lendemain" (la roue vous fait tourner la tête durant plus de cinq heures). Elle ne vous laisse pas de répit. C'est Gance qui vous mène et vos censures, vos résistances et vos ricanements (toujours défensifs) ne prendront en aucun cas le dessus. Sisif, le mécano, piqué par l'épine de la "Rose du Rail", la belle Norma, orpheline, sait aussi parler et écouter les locomotives comme les "Gens de l'Eau" savent le faire à l'égard de leur péniche, cet écrin d'acajou et de fer. D'ailleurs seuls ceux qui ont su toucher de près, ces matières vivantes, peuvent saisir intimement cette dimension. Sisif le mécano, le prolo du rail et sa "Rose du Rail" vous enivrent au plus profond et au-delà de vos sens qui ont perdu l'habitude, mais aussi l'occasion de vous laisser aller, haler, par la pointe du coeur. Des Raimu qui parlent à leur femme par l'intermédiaire d'un chat et des Sisif qui caressent leur loco et qui les aiment comme des femmes, ce n'est pas tous les jours qu'on a la chance de les caresser du regard. Dommage. Merci Monsieur Gance pour ces troublantes turbulences. DENISE VOGELEISEN