Svenja et Oliver Steve viennent tout récemment d'emménager dans un splendide appartement, situé dans un cossu quartier de la ville de Francfort. En effet, originaires de la cité hanséatique de Hambourg, un avantageux recrutement du mari par une importante banque de la capitale de la Hesse, un des Land les plus riches du pays, permet au couple d'espérer un bonifié et bien plus séduisant train de vie. C'est en se rendant sur le lieu de travail de son époux, lors d'une réunion sur l'opportunité des investissements dans le mécénat d'entreprise, que Svenja croise pour la première fois Roland Cordes, un des principaux dirigeants de la banque. Elle le revoit, quelques semaines plus tard, à nouveau dans les mêmes locaux professionnels, lors d'une séance de photos consacrée à celui qui va être nommé prochainement "banquier de l'année", acceptant sans hésitation son invitation de prendre un verre avec lui, dans un café proche, de le suivre à l'hôtel, pour finalement ne pas rester en sa compagnie, dans la discrétion de l'endroit. C'est lors d'une soirée mondaine et musicale entre cadres de la banque, qu'il lui avoue son désir de proximité, confidence quelle perçoit à la fois comme lointaine et concernée. Afin de provoquer une plus rapide intimité, Cordes n'hésite pas à faire muter le mari, par une prompte promotion, dans une (dangereuse) succursale à Djakarta, où le précédent représentant de la banque a été enlevé et tué...
Ce jeune cinéaste fait partie des réalisateurs du nouveau cinéma allemand qui, contrairement à leurs prédécesseurs, inscrivent leur cinéma dans la réalité contemporaine de leur pays, sans plus évoquer le traumatisme ou la culpabilité liés à la guerre, ni la chute du mur ou l’ostalgie. Sous toi, la ville se passe dans la capitale des banques allemandes, Francfort, avec ses tours de verre transparentes.
Que l’on ne s’y trompe pas ! La transparence ne permet que le flicage, l’observation de chacun et de chacune au sein de l’entreprise. Du haut de la tour, à travers les baies vitrées, les patrons observent la foule grouillante de la ville sous eux. Ils sont un peu comme des Dieux qui tirent les ficelles. Aussi, Roland, élu patron de l’année, va-t-il envoyer en Asie pour une mission, et pour de longs mois, l’un de ses cadres employés car il est tombé fou amoureux de sa femme, Svenja.
Roland est un homme d’une cinquantaine d’années, issue de l’aristocratie, et dont le père était déjà banquier. Svenja est une artiste. Elle a trente ans. Ils viennent de deux milieux très différents et leur amour les conduit à jouer avec leur image, réinventant pour l’autre des souvenirs qui ne sont peut-être que pures affabulations. Il lui raconte son enfance dans un milieu modeste. Pour expliquer une cicatrice sur son corps, elle lui raconte son amour pour un junkie qui l’a marquée du feu de sa cigarette. Liés à la fois par une attirance irrésistible et par la détestation, sans doute les personnages se retrouvent-ils dans ce jeu des mensonges et du sexe : « Nous nous considérons tous comme des animaux doués de raison, mais en réalité nous ne le sommes pas. L’amour peut être considéré comme une sorte d’échange, mais l’attirance est un phénomène primaire. […] C’est dangereux et malgré ce que l’on croit, toute la logique du monde ne pourrait nous mettre à l’abri de l’instinct animal. […] Nous espérons que quelqu’un ou qu’une force contraire nous réveille, un désir opposé. C’est peut-être ça le cœur du film. Il s’agit en effet d’aliénation, mais aussi de son inverse, atteindre la réalité par l’amour et le corps. »
Sous toi, la ville traite du jeu des apparences auquel la société nous contraint et Roland comme Svenja se ressemblent sur ce point ; ils ne sont pas dupes. C’est la question du pouvoir qui se pose, de la compétitivité dans tous les domaines. Svenja se présente à un employeur avec un faux CV, préférant, enfin, lui montrer son pressbook. Roland, à la tête de son conseil d’administration, fustige quant à lui, la valeur de ce qu’est un CV. Point d’orgue de ce jeu des apparences, un concert privé de musique contemporaine lors d’une soirée organisée par l’épouse du banquier ; belle femme à la blondeur parfaite, intelligente, spirituelle dont l’image lisse cache la femme délaissée, trompée. Ici, tout n’est que luxe, apparences et mensonges. Et l’on pense à Visconti, à cette vieille aristocratie décadente allemande qu’il a su peindre dans ses films ; référence que Christoph Hochhäusler ne renie pas. Visconti est l’un de ses réalisateurs préférés.
Elsa Nagel