LE CAPITAL - 2012

Titre VF LE CAPITAL
Titre VO
Année de réalisation 2012
Nationalité France
Durée 1h53
Genre THRILLER POLITIQUE
Notation
Date de sortie en France 14/11/2012
Thème(s)
Milieu de la finance (tous pays confondus)
Réalisateur(s)
COSTA-GAVRAS Constantin
Chef(s) Opérateur(s)
GAUTIER Eric
Musique
AMAR Armand
Renseignements complémentaires
Scénario : Jean-Claude Grumberg,
Constantin Costa-Gavras et Karim Boukercha .....
d'après le roman de Stéphane Osmont
Distribution : Mars Distribution

Visa d'exploitation : 127 605
Acteurs
BYRNE Gabriel
BENNETT-FOX Katharine
ELMALEH Gad
KEBEDE Liya
DE PAULA Jordana
GIRARDOT Hippolyte
REGNIER Natacha
RICCI Bruno
DUCLOS Philippe
BARRETT Paul (2)
LE COQ Bernard
GOULD Dominic
SALLETTE Céline
NAGGAR Eric
NEMETH Vincent
NADEAU Claire
RAIO Nick
MESGUICH Daniel
LIZARAZU Bixente
WOODS-ROBINSON Jordan
HANNOCK Patty
SUNDBERG Yann
WHETTNALL Astrid
CONSTANTINE Lemmy
FRIN Jean-Marie
BEAUCAIRE Nicolas
MALPEYRE Hugo
GRUMBERG Olga
ANTOINE Mark
MICHELSEN Dimitri
PAVIOT Bruno
GAVRAS Alexandre
BOWEN Justin
DUBREUIL Cyril
BERTRAN DE BALANDA Benoit
HAMON Emmanuel (2)
PAVAL John
RAYMOND Didier
WARREN Paul (2)
Résumé

"La résistible ascension d'un valet de banque dans le monde féroce du Capital" .....

                                                       (d'après le matériel de presse)

Bibliographie
- Le Canard Enchaîné du 14 novembre 2012
- Positif numéro 622
- Fiche de Monsieur Cinéma
Critiques (Public)
Costa-Gavras, cinéaste combien salutaire, n’a rien perdu de sa force de frappe : après quatre ans d’absence derrière la caméra, il le prouve magistralement par son premier thriller financier (doté, bien sûr, d’un casting de luxe) – ce Capital d’antipathie mutuelle qui, sans manichéisme ni la moindre illusion, renvoie dos à dos Marx et Goldman Sachs.

Enfants gâtés et cyniques d’une mondialisation qui s’emballe, les froids requins de la finance internationale y jouent à qui perd gagne une partie absurde dont ils savent être, autant que nous, les pions interchangeables. Pour sa sixième fructueuse collaboration avec Jean-Claude Grumberg, l’ancien patron de la Cinémathèque de Paris filme leur ballet clinquant et mortifère comme, jadis, celui des colonels autocrates de Z (1969), avec la même rage contenue, le même louable souci de vigueur et de limpidité. Il élargit, ce faisant, le champ d’action concurrentiel de son non moins fatal Couperet (2004) et ne ménage pas les nerfs du spectateur qu’il laisse intelligemment osciller entre fascination et répulsion. Du vertige ressenti peut alors sourdre une saine nausée, ce signe infaillible que le mal progresse, mais que toutes nos défenses ne sont pas encore mortes.

Par souci de vraisemblance cinématographique, les chiffres en circulation dans le roman homonyme du haut fonctionnaire Stéphane Osmont – un homme du sérail – ont certes été minorés et les coups bas atténués. Or quatre ans après le lancement de ce brûlot bien informé, premier d’une trilogie, éclatait en Amérique la crise boursière de l’automne 2008 ; sa présente adaptation, hélas toujours d’actualité, ne saurait donc être prise à la légère lorsqu’elle annonce, sur fond d’effrayante euphorie, une nouvelle catastrophe en marche. Fini de rire, veut-on nous avertir, même avec Gad Elmaleh qui en est ici tout à la fois le messager direct et le complice désabusé. Relayant, sobre et glacial, d’autres "comiques" pris au tragique par le réalisateur franco-grec (Jack Lemmon primé pour Missing, Jean Yanne ou José Garcia), il campe un jeune arriviste subalterne bombardé successeur – ou marionnette ? – du PDG de la Banque Européenne Phénix (un Daniel Mesguich surprenant, déjà dans Clair de Femme en 1979), anéanti en plein swing par son "cancer des couilles". Pour que, digne de son emblème, elle puisse persister à renaître, ce polytechnicien belliqueux devra affronter un "cow-boy" encore plus cupide que lui (Gabriel Byrne, enfin retrouvé un quart de siècle après Hanna K) et les voraces actionnaires du fonds spéculatif qu’il chapeaute à Miami ; un top model fuyant, dépensier et manipulateur (l’Ethiopienne Liya Kebede, révélée par l’affairiste Lord of War) ; ses associés qu’il divise et ses cadres qu’il dégraisse ; ses propres pulsions de rage enfin qu’il contient en images mentales et décante en voix-off. Moins théâtral et ténébreux que Margin Call (2011), terrible huis clos new-yorkais de J.C. Chandor, le film nous promène aussi, au féminin, de capitale en capitale, sur les pas conquérants de son protagoniste, avec ce qu’il faut de lieux décadents et de visqueux seconds couteaux (Eric Naggar et Philippe Duclos, forcément !), voire de figurants complices (l’ami John Landis). Mais il semble surtout confronter deux formes d’addiction autistique : jeux d’argent pour les puissants, consoles de jeux pour leurs enfants (au demeurant inconsolés). Ainsi les actions s’envolent-elles (silence ! on détourne…), tandis que les paroles font mouche : "L’argent est un chien qui ne demande pas de caresses" ; "C’est qui la conjoncture ? Une grosse pute qui dirige tout partout" ; "J’enrichis les riches, j’appauvris les pauvres : je suis un banquier normal" ; "C’est pendant les crises que les écarts se creusent et que les fortunes se font".

Fort investis dans la promotion strasbourgeoise du Capital , le 11 octobre 2012 (en avant-première à l’UGC CinéCité et au Star St-Exupéry), Costa-Gavras et Gad Elmaleh ne s’y sont d’ailleurs pas montrés économes de leurs propos - auxquels nous empruntons les extraits suivants :

C.-G. : Ce qui m’a intéressé, c’est le rôle croissant que prend l’argent dans notre société et la façon dont il l’individualise. Tous les rêves utopiques ont été balayés. Un autre monde s’installe, dont les maîtres prétendent qu’ils réussiront là où nous avons échoué. Mais c’est un monde désaxé, un peu fou. Au Japon, les robots commencent même à remplacer les traders (15%, bientôt 40% !) et à prendre les décisions de vente ou d’achat. Avant le tournage, j’ai rencontré de nombreux banquiers, au plus haut niveau, et découvert, très objectivement, des hommes fins, cultivés, nécessaires et le plus souvent légitimes. Ils sont en général intelligents, mais m’ont avoué qu’ils ne comprenaient pas tout. Ils ne savent plus toujours exactement ce qu’ils vendent. Les femmes demeurent plus près de la vraie vie : elles seules la portent et, mieux qu’eux, en connaissent le prix. Elles me paraissent moins attachées au plaisir immédiat, mais ont le pouvoir de nous compromettre. Il en va ainsi de mon top model, qui ne se révèlera pourtant pas aussi garce et vénale qu’on l’imaginait. De façon générale, j’aime les personnages à double face. Mon film, je l’ai conçu comme une exploration des passions humaines, qui parfois produisent des catastrophes. Parallèlement, je tenais à montrer que nos enfants, déjà, apprennent la facilité, la légèreté de tuer en restant braqués, des heures durant, sur leurs jeux vidéo. Je pense que tous les films sont politiques, chacun à sa manière, alors oui, je fais également des films politiques – comme tout le monde ! Cela étant, les cinéastes ne sont pas là pour donner des solutions, mais pour poser des questions.

G.E. : Le Capital est plus qu’un cri de colère ; c’est un état des lieux réaliste. Il tente de cerner le comportement des hommes d’argent face à cette grosse machine qu’est devenue la banque. Nous avons hélas besoin d’eux, vu que nous ne pouvons pas nous passer d’elle. Marc Tourneuil, mon personnage, se trouve d’ailleurs jeté dans ce milieu par des gens qu’il espère pouvoir manipuler, alors qu’il le sera, lui, peu à peu, en dépit de son extrême lucidité. A l’instar des politiques, il sait qu’il va prendre des coups, mais il y va quand même. Il est imperméable à ce qui se passe, presque mécanique. Il appartient à une nouvelle espèce à part, jamais fatiguée, et qui ne connaît aucune rédemption puisqu’il finit par rechuter. Etrangement, son absence d’expression émotionnelle et corporelle a nécessité de ma part bien plus d’efforts que mon exubérance coutumière. Le prolongement de ce que je suis par nature m’est assez facile ; là, il fallait que je sois imprégné, littéralement chargé du parcours d’un animal à sang froid et de ses enjeux. C’est « un homme sans qualités », pour citer Robert Musil, et je suis, moi, un acteur de comédie ; je le revendique et je l’assume. J’ai même dit à Costa : « Pourquoi moi ? Qu’est-ce que j’ai fait ? » J’étais flatté qu’il m’appelle, mais j’avais aussi envie de le rassurer. Il prenait un risque et moi aussi. Je sortais là de ma zone de confort. Les premiers jours, j’avais peur de ne pas bien faire et je ressentais en même temps l’énergie que procure tout défi. Mais sans confiance réciproque, nous courions au désastre. En voyant le film, je me suis rendu compte que j’y souriais très peu. Les rares sourires de Marc sont cyniques ou déplacés et ceux-là m’ont échappé car je n’en avais nullement conscience sur le plateau. Pour réussir à ne rien faire ou presque, j’ai beaucoup travaillé avant, sans en souffler mot à Costa. J’ai lu un peu et je me suis demandé comment on pouvait devenir si tranchant, au cœur de ce milieu complexe. Interpréter cette attitude m’a d’ailleurs aidé ensuite, dans ma vie. Je suis un homme de compromis, d’arrangements, de doutes et de création, mais quand je parle aujourd’hui à mon banquier, je constate qu’il m’écoute davantage ! Plutôt que le pouvoir ou son ivresse, c’est la mise en œuvre quotidienne du pouvoir qui m’a ici fascinée : une directive, un mot, un regard suffisent. Costa me faisait remarquer que les gestes de ponctuation affaiblissaient mon personnage. Ils ne servent à rien parce qu’un homme profondément autoritaire n’a pas besoin de se justifier. J’ai donc œuvré en ce sens. Le fait de jouer en anglais m’a paru très libérateur : c’est la langue du business et c’est aussi un masque, comme dit Costa. Je suis beaucoup moins pudique dans les scènes en anglais, que j’ai toutefois préparées avec un "dialect coach".

C.-G. : Qu’est-ce qui fait un moine ? L’habit et la tonsure d’abord, puis le comportement. D’emblée, le costume a mis Gad dans une certaine posture : je l’avais choisi strict, sérieux, pas à l’italienne, pour éviter tout dandysme. Lors de la séquence finale, en revanche, je lui ai demandé d’arriver sans cravate au conseil d’administration : c’était pour son personnage un bon moyen de montrer qu’il agit à sa guise et qu’il détient désormais tous les pouvoirs. Le patron de Groupama, qui nous avait prêté la salle de réunion, s’en est aussitôt étonné. J’ai donc dû lui expliquer qu’il s’agissait d’un oubli volontaire : à ce stade de l’histoire, Gad ne s’est-il pas déjà libéré de son personnage ? Avant de devenir réalisateur, j’ai occupé le poste d’assistant et fait passer des castings pour René Clément et Jacques Demy. On nous y envoyait d’ordinaire des avocats pour tenir des rôles d’avocats ou, pour jouer des flics, des acteurs ainsi catalogués, parfois déjà en uniforme ! Je me suis alors aperçu qu’il suffisait de leur proposer un emploi différent pour éclairer, chambouler leur regard. Cette découverte a trouvé son application dès mon premier film : dans Compartiment Tueurs (1965), j’ai clochardisé l’élégant Michel Piccoli. On n’avait jamais vu non plus Yves Montand, séduisant crooner, aussi abîmé que dans L’Aveu (1971), malgré sa proximité philosophique aves le personnage d’Arthur London. Et puis j’ai bataillé des jours et des jours avec Universal pour obtenir Jack Lemmon, qu’ils n’imaginaient pas dans Missing ! Ce qui m’émerveillait chez Gad, c’était sa faculté de passer très vite d’un personnage à un autre durant ses spectacles, sans rien perdre de sa crédibilité.

G.E. : Mais soyons honnêtes: ma situation d’acteur « bankable » n’a pas facilité le financement de ce projet, difficile à monter malgré l’obtention initiale de l’avance sur recettes. S’il s’était agi d’une comédie avec José Garcia, Jean Dujardin ou Franck Dubosc, Costa n’aurait pas dû faire autant d’économies, ni rogner sur les salaires et le confort de chacun. Ce fut mon premier tournage sans caravane ! Mais j’espère tout de même qu’avec ce film nous allons gagner beaucoup d’argent !

Maxime Stintzy