Le dénommé Riggan Thomson est un acteur qui a connu son envol et son heure de gloire, il y a quelques années déjà, en incarnant un notoire personnage de science-fiction, baptisé Birdman, super-héros américain aux capacités physiques exceptionnelles, encensé par le public et la presse de l'époque. Refusant de poursuivre le tournage de quelques séquels de son extraordinaire surhomme masqué, il végète et patauge depuis dans des productions secondaires voire mineures, espérant enfin un retour imminent et probant sur les planches d'un théâtre de Broadway, dans l'adaptation d'une nouvelle de Raymond Carver : "What we talk about when we talk about love", actuellement en répétition. Quotidiennement tourmenté par ce passé ailé qui a fait son succès, Riggan est sans cesse sollicité par cette part schizophrénique de lui-même qui exige insidieusement un retour impérieux du fameux et mythique rôle symbolisant la gloire d'antan et l'éblouissante reconnaissance publique. Surtout que la mise en scène de la pièce est loin d'être parfaitement rôdée, avec un partenaire, jeune et séduisant, qui essaye de tirer la couverture à lui, une critique du New York Times guère aimable et sa propre fille toujours intoxiquée à la marijuana...
Pour ma part, plus le film avançait, plus il devenait fortement passionnant !
Et honnêtement, j'avais peur que le film me fasse ce qu'il a fait aux détracteurs. Une oeuvre expérimentale qui est écrasée par son propre dispositif.
Or le film réussit l'exploit de faire oublier ce dernier pour nous plonger dans une visualisation concrète du fil ténu entre réalité et fantasme. Rêve et cauchemar.
Tout en se différenciant complètement dans la forme (mais alors complètement), Birdman peut rejoindre la thématique de "où s'arrête l'art, où commence la vie" que l'on pouvait voir dans des films aussi brillants que "Le Carrosse d'Or" de Renoir, "Sunset Blvd." de Wilder ou encore les exercices séduisants de Jacques Rivette. Et Iñárritu d'y foncer tête baissée, mais toujours conscient de ce qu'il montre à l'écran. Outre la virtuosité resplendissante de la mise en scène, le film réussit à déployer un rythme d'une teneur impressionnante, aidée par une bande-son, se mettant en symbiose avec les mouvements mentaux et physiques des personnages.
Dans la recherche de l'espace, les décors exigus font place à de grandes bouffées d'air extérieures, qui n'empêchent pas d'y voir un New York comme lieu incroyablement vivant et culturel, mais également sans horizon possible, où toutes les voies, emplies de monde, de bruit et de folie ramènent irrémédiablement le personnage dans les lieux de sa rédemption, de sa création et de sa renaissance. Jusqu'à un envol aussi évident psychologiquement que dans cette fameuse suspension d'incrédulité qui est sans cesse remise en question au coeur même du film.
L'utilisation des couleurs est sans cesse élaborée. Les couleurs primaires y ont un sens dramatique et se mêlent brillamment aux constrastes des clairs-obscurs comme autant de passages entre subjectivité palpable et perte de repères.
Je n'ai finalement pas trouvé le film théorique. Il se tient à son sujet, par la réflexion que son propre protagoniste se fait sur lui-même et le monde qui l'entoure. C'est une oeuvre mentale et réellement labyrinthique, parsemée d'éclats de fantastique, de romance, de poésie ravageuse et salvatrice. Les mises en abîmes s'enchaînent avec une aisance déconcertante.
Je pense que c'est une oeuvre qui va gagner en richesse, lors d'une révision. Quant à l'interprétation, elle est magistrale. Du puissant Mickael Keaton, au moindre petit rôle.
"Birdman" est une oeuvre hybride, mais constamment brillante. Entre cynisme et émotions totalement investies. Entre comédie et drame psychologique. Entre mensonge et vérité. Entre l'art et la vie qui la constitue (ou vice-versa).
GTT
Crise de nerfs et délire dans les coulisses. Je trouve ça moyen. En regardant le vieux Keaton fendu entre la gloire (mal) passée d'un rôle de super-héros au cinéma (Birdman mais on pense évidemment à Batman) et sa quête d'une reconnaissance "théâtreuse", je me suis pris à regretter qu'il n'existe pas un biopic de Johnny Weissmuller. Zach Galifianakis dans un rôle bien différent de celui qu'il tient dans VERY BAD TRIP (l'inoubliable Alan) est tout aussi excellent.