Usé par trop de suites (4 jusqu’en 1994)
et d’imitations, le personnage phare de
Paul Kersey avait sans doute besoin, 44
ans après son premier Death Wish, d’un
sérieux coup de jeune que s’efforce ici paradoxalement
de lui donner Bruce Willis,
dix piges de plus qu’à l’époque Charles
Bronson, son inoubliable incarnation
initiale.
Et, hormis Mel Gibson (aussi volontiers vindicatif
qu’expéditif ), qui d’autre que le sulfureux Eli Roth
pour reprendre le flambeau du défunt Michael
Winner et s’atteler aujourd’hui, sans trop l’édulcorer,
à l’un des thrillers les plus controversés des seventies
(après Dirty Harry) ? Mais, acteur moins en vue que
la star précitée, l’ex-« inglourious basterd » s’est borné
à coiffer la casquette du cinéaste sanguinaire pour
élargir son « public averti » et aborder, avec sa lenteur
d’exposition coutumière, un univers bien balisé
où on ne l’attendait guère.
Rompu, loin de nos jungles urbaines, aux périls occultes
du Green Inferno amazonien et d’autres lieux
dantesques coupés du monde (cabane sylvestre ou
Hostel slovaque), il feint de rejoindre enfin la prétendue
civilisation pour y effectuer, l’arme au poing par
procuration, un parcours cathartique étrangement
voisin de celui du Belge Fabrice du Welz, passé, deux
ans avant lui, de la sauvagerie répulsive de Calvaire
et Vinyan au nettoyage en règle du salutaire Message
from the King. Qu’ils aient tous deux été « parachutés
» importe peu – l’auteur du nouveau script de
Death Wish, Joe Carnahan (réalisateur du Territoire
des loups !) en ayant d’abord abandonné le tournage
californien à Gerardo Naranjo (avec Benicio del Toro
en tête d’affiche) – car ils y ont chacun vite retrouvé
leurs marques.
Convenons toutefois que, si Chadwick Boseman
(Black Panther en herbe) a rejoint le panthéon des
meilleurs « vigilantes » aux côtés de Bronson, bien
sûr, de Michael Caine (Harry Brown), Thomas Jane
(The Punisher) et Jodie Foster (A Vif), ce ne devrait
hélas pas être le cas de Bruce Willis, aminci et rajeuni
pour son come-back attendu de père exterminateur,
mais qu’on préférait en John McClane (qu’il
s’apprête d’ailleurs à retrouver). Sarcasmes, justes
accès de rage contenue et maladresses de bon aloi
préservent cependant l’attrait de son Paul Kersey,
encombré cette fois d’un frère inutile (Vincent
D’Onofrio) et rebaptisé « The Reaper » (« le Faucheur »)
par les réseaux spéciaux qui, actualisation oblige,
suivent ses assauts nocturnes et s’écharpent à son
sujet, toutes couleurs confondues.
Point de surenchère, cependant, dans la composition
beaucoup plus prudente et méthodique de son
tableau de chasse : avec huit morts (dont un seul
Afro-américain, dealer et bourreau d’enfants honni
par ses semblables, et le diabolique Beau Knapp
en apothéose), il en aligne même deux de moins,
compensés si l’on veut par l’extrême sadisme d’une
longue scène d’anthologie (celle du garage) qui suffirait
à justifier l’interdiction du film aux moins de 12
ans. Les amateurs du cinéma d’Eli Roth se rassureront
de le reconnaître là à sa façon d’y faire rimer nerf
sciatique et soude caustique. Il n’en glisse pas moins
insensiblement du « vigilante movie », aussi accablé
qu’arbitraire, au plus tonique « revenge movie ».
Déjà orphelins de Charlie, les fans de western ne
lui pardonneront pas, eux, d’en avoir effacé le sousjacent
modèle culturel, trahissant le propos de Brian
Garfield (79 ans), l’auteur du roman que ce genre
révéla en 1960 (avec Range Justice) et hissa au sommet.
Fort emblématique à cet égard, le pistolet
Glock 17 que le second Kersey, chirurgien, rafle aux
urgences, quand le premier, architecte (mais ex-médecin
militaire) se voyait offrir un colt par son client
d’Arizona après la visite d’Old Tucson. Un bref usage
ambivalent du split screen le montrera ensuite
retirer la balle d’un blessé sur le billard et en placer
d’autres simultanément dans son chargeur, chez lui.
Il y a ainsi quelques bonnes trouvailles dans ce prétendu
remake ouvert sur les chapeaux de roues (de
la police) et non plus sous les palmiers d’Hawaï (où
Hope Lange précédait Elisabeth Shue, has been
itou, en blonde épouse massacrée). La ville du
Justicier elle-même a changé par simple souci de
cohérence, New York étant devenu, grâce à la vraie
tolérance zéro du maire Rudolph Giuliani (1994-
2001), l’une des plus sûres au monde. Lieu d’exil
final du veuf en (et sans) pétard dans le film amer de
Winner, Chicago reste ici son violent port d’attache
en voie d’apaisement – un choix que renforce celui
de Rogier Stoffers, le chef op de Brimstone (2016),
ténébreux western hollandais.
Ses splendides images nocturnes n’annoncent-elles
pas La Prophétie de l’horloge, imminent retour d’Eli
Roth au fantastique ?
Maxime Stintzy
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