Boris Yellnikoff, prestigieux physicien nobelisé, éminent spécialiste de la mécanique quantique, désormais misanthrope et phobique retraité, vient de se séparer de son épouse et dans une énième crise de panique nocturne s'est défenestré de son appartement new-yorkais, à travers l'importune verrière de son vaste salon. Il en réchappe miraculeusement et garde de son acrobatique saut dans le vide une légère et significative claudication, en l'occurrence plutôt charmante et pacifique. Malgré sa placide misogynie, il accepte finalement d'héberger pour quelques temps une jeune fugueuse de vingt ans, Mélodie St. Ann Célestine, originaire d'un vague comté du lointain Mississippi, "une petite chenille sans cervelle" toujours en admiration devant la culture encyclopédique de son hôte, sempiternel grincheux, grognon et bougon. Il s'avère que le petit "microbe débraillé" qui désormais a trouvé un aboyant travail régulier, voire quotidien, promener les chiens du quartier, se prend d'affection pour l'excentrique vieux bonhomme et parvient à lui arracher de justes et inattendues secondes noces. Harmonieux bonheur matrimonial bientôt perturbé par l'irruption inopinée de Marietta, la mère de la jeune fille, qui voit d'un fort mauvais oeil l'union "contre-nature" de son enfant et qui va chercher par tous les moyens à provoquer une séparation, plus particulièrement en fomentant une éventuelle liaison entre Mélodie et un jeune garçon croisé récemment. Ce sera pourtant elle, ceinte de sa rigide morale sudiste, qui finira par se lancer dans la photographie érotique d'art et par vivre en parfaite communauté avec deux intangibles copains de Boris. Et voilà que survient, à l'improviste, le blafard mari de Marietta, en pleine crise existentielle...
- Fiche de Monsieur Cinéma
- Annuel du Cinéma 2010
- Cahiers du Cinéma numéro 647
Critiques (Public)
14/20 : Etonnée du peu d'impact me restant de cette comédie de Woody Allen une fois sortie de la salle. Pourtant, après une demi-heure en avalanche, fort bavarde, surjouée de mon point de vue (accent américain du nord de l'ingénue cornant dans les oreilles !), j'ai bien ri face à cet effroi qu'est la simple disparition de la surface du globe : pourtant très relative, la mort à y bien regarder, surtout sur les vieux jours, quand on a intégré que l'enfer serait plutôt ici-bas, certes à des degrés variables. La logique commande : tant qu'une situation marche, la garder, sinon en changer... Pour ma part, je préfère le cinéaste dépaysé hors de son fief, et dirigeant des acteurs plus charimastiques. Ou alors un autre registre que la démonstration d'écran à spectateur pour traiter le vertige qu'inspire le néant. Pour dire le fond de ma pensée, j'aurais cent fois mieux aimé Woody Allen à la place de Larry David, le rêve suprême et inaccessible étant Groucho Marx, ce film n'a cessé de me faire penser à lui.  L.Ventriloque
17/20 : Auto-proclamé génie au-dessus du commun des mortels, Boris, la soixantaine, ne cesse de clamer sa "vision globale" du monde, ses certitudes et son mépris du genre humain. Agaçant et touchant à la fois, ce masque lui a permis de trouver une forme de confortable célibat. Jusqu’au jour où Melody, une jeune fugueuse originaire du Mississippi, débarque dans sa vie new-yorkaise. D’emblée, il la trouve irrémédiablement "sous-développée" sur le plan intellectuel ; en même temps, n’est-ce pas lui qui affirme que l’amour ne doit pas être rationnel ? Et puis, il lui faut bien admettre qu’il la trouve de plus en plus jolie. Attentionnée et facile à vivre, aussi. Autant de qualités qui le conduiront ... au mariage, rien de moins ! Mais voilà que les parents de la jeune femme débarquent à leur tour à New York. Divorcés, ils sont tous deux pleins de certitudes puritaines et religieuses, certitudes qui vont bien vite s’effriter. Radicalement. Etonnamment. Mais tant que ça marche ... Et on peut le dire, cette comédie, rythmée, fraîche et désopilante à souhait, fonctionne parfaitement ! TY
Woody Allen fait partie de ces rares et précieux metteurs en scène qui peuplent depuis toujours mon exponentielle mémoire cinématographique, avec une félicité constante, sans trahison ni doute quelconques. C'est donc à chaque fois un vrai bonheur de petite fille gâtée, de guetter la sortie de son prochain film, nimbé du souvenir délicat d'une longue conversation-interview faite l'année dernière, en sa présence, au bar du Cosmopolitan Hôtel de New York, pour un journal de mode américain. Et ce n'est pas son absence physique dans ce nouveau film qui gênera le moins du monde la perception de l'humour si particulier du réalisateur, faite de permanente (auto)dérision, d'une turbulente et savoureuse logorrhée inimitable et d'un formidable jeu scénique rappelant, entre autres, les facéties débridées d'un Stan Laurel hilare et goy ou la fébrilité indolente d'un Harry Langdon définitivement survitaminé. Amandine qui (vous) taquine
"L’illusion d’avoir un sens apaise la panique"
Tourmenté par l’ulcère, transcendé par la misanthropie et le mécontentement permanent, Boris Yellnikoff chauve, boiteux, divorcé, suicidé raté, professeur d’échecs intolérant, irascible physicien distant, prétentieux déchu et cloitré, voit toute cette panoplie négative s’effriter suite à la rencontre la plus improbable qui soit.
Une nunuche jeune, belle et naturelle apparue soudainement dans l’existence d’un pestiféré, entretient dans un premier temps les constats réactionnaires d’un vieux ronchon lui permettant de conserver sa différence, pour enfin obtenir la restauration d’un état oublié, un savoir vivre en groupe respectueux et tolérant.
Un QI monstrueux, solitaire et dépressif, en guerre contre le monde entier, réfugié dans un mépris considérant ses contemporains comme des vers de terre, est rapatrié dans le monde des vivants par une simple d’esprit désirant être la femme d’un génie.
"Whatever Works" outre son aspect décelant un manque antinomique commun et son unification par le mariage, entre deux composants d’une génération différente, est une comédie douce amère, révélatrice de l’échec d’un monde uniquement basé sur l’entretien dans le temps des institutions politiques, morales et religieuses, dont les têtes pensantes sont périodiquement remplacées.
Cet état de soumission perpétuel envers un régime pédagogique où nos comportements sont préformatés par des procédures d’éthiques, crée la révolte de certains individus, décelant en interne une personnalité propre et créative, exclues d’un parcours imposé par l’obligation de plaire et surtout d’entretenir une machinerie collective bien pensante et dominatrice
"Il n’y a personne là-haut" semble être une des conclusions de cet opus initiatique, incitant les êtres à se découvrir et s’assumer par eux-mêmes, dans un univers dominé par la chance où ils peuvent malgré tout étaler leurs véritables personnalités, tout en participant au monde.
A voir absolument.
JIPI